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Fourrage « Le premier bilan de la silphie est mitigé mais nous continuons »

Innovation. Face au réchauffement climatique, Jonathan et Dimitri Lenourichel (à gauche) cherchent des alternatives fourragères innovantes. Ils ont répondu présents à la suggestion de la Coopérative de Creully de tester la silphie perfoliée. Olivier Véron, son nutritionniste, les accompagne.

C’est la deuxième année que Jonathan et Dimitri Lenourichel distribuent de la silphie perfoliée ensilée à leurs vaches. Ils butent sur la récolte de la vivace foisonnante, riche en eau. Obtenir une teneur en matière sèche supérieure à 30 % n’est pas aisé.

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La silphie perfoliée fait ses débuts dans le Calvados, le sud de la Manche et l’Ille-et-Vilaine. Originaire d’Amérique du Nord, cette grande vivace de la famille des composées (ou astéracées) est cultivée en Allemagne, essentiellement pour les méthaniseurs. Elle est introduite en France depuis cinq ans par Silphie France, filiale du négociant HADN (Vosges) pour la méthanisation et l’alimentation bovine. "L’Éleveur laitier" s’en était fait l’écho dans son numéro d’octobre 2021. L’Hexagone en comptait 600 ha il y a trois ans. Il en compterait désormais plus de 6 000 ha, selon Silphie France. La société s’appuie notamment sur des distributeurs tels que la Coopérative de Creully, à l’affût d’innovations. La Calvadosienne accompagne quinze éleveurs qui totalisent 40 ha. La moitié est destinée à des méthaniseurs, l’autre à l’ensilage ou l’enrubannage pour alimenter les vaches en lactation ou les génisses. Dimitri et Jonathan Lenourichel en font partie.

Les 1800 €/ha de semences seront amortis sur dix à quinze ans. La silphie perfoliée est une vivace qui ne paie pas de mine en hiver mais qui monte à 0,8 - 1 m de haut lors de la première coupe en juin. Ici, elle a été semée à 75 cm d'interrang en semis sous couvert de maïs. (© C.Hue)

Huit hectares implantés en 2021 pour quinze ans

Depuis l’an passé, les deux frères associés en apportent 2 kg bruts/vache/jour à partir du mois de juillet. « Nous en avons semé huit hectares en 2021, répartis en quatre parcelles », détaillent-ils. La première coupe a eu lieu l’année suivante, fin juin. «Même si le rendement élevé est le premier argument avancé, ce n’est pas celui qui a retenu notre attention. Grâce à nos terres limoneuses profondes et à notre climat tempéré et pluvieux de bord de mer, nous obtenons facilement de 18 à 20 tonnes de MS/ha de maïs ensilage en année classique. Seulement, les épisodes secs deviennent fréquents.Nous recherchons une culture fourragère capable de résister plus longtemps au temps sec dans les parcelles plus sensibles. » Les quatre parcelles sont très argileuses ou limoneuses peu profondes. Leur surface de 2 ha incite Dimitri et Jonathan à simplifier leur travail. L’implantation de la vivace pour dix à quinze ans répond à cet objectif. Silphie France conseille de la semer entre huit et dix jours après le semis habituel du maïs pour une terre bien réchauffée. Les deux associés l’ont donc fait début mai, sous couvert de maïs (lire l’encadré, ci-dessous). Elle développe progressivement un réseau racinaire qui atteint les 2 à 2,5 m de profondeur au bout de deux à trois ans. En cas de « coup de sec », les racines ont la capacité de subvenir aux besoins de la plante. « Nous pourrions sécuriser nos stocks avec plus d’intercultures fourragères riches en protéines mais explorer d’autres pistes de diversification fourragère pour s’adapter au changement climatique nous plaît. »

Gorgée d’eau à la fauche

Après deux années d’ensilage, c’est l’heure du premier bilan. Il est mitigé. Les deux associés sont satisfaits de la culture en tant que telle. Elle a produit entre 5 et 10 t de MS/ha cette année (le silo n’a pas été cubé) et devrait monter en puissance les deux ou trois prochaines années. Ils butent en revanche sur la méthode de récolte et la conservation. « Nous sommes confrontés à un dilemme. La plante est pleine d’eau car elle fait des réserves dans ses tissus. Si nous fanons, nous fragilisons les feuilles riches en protéines. Si nous n’intervenons pas suffisamment, l’eau a du mal à s’évaporer. »

Sur les trois coupes ensilées en 2023 (2 juin, 17 juillet et 14 septembre) par une ensileuse à herbe classique à 0,8-1 m de haut, seule la deuxième ne subit quasiment aucune perte. « Nous avons obtenu 32,9 % de MS en essayant d’aérer la biomasse. C’est au détriment de la valeur protéique à 12,8 % de MAT/kg de MS contre 15,2 % en première coupe mais pour 18,8 % de MS. » En revanche, la valeur énergétique s’est maintenue et est de bon niveau : respectivement 0,89 UFL et 0,87 UFL/kg de MS. Le fourrage ne déconcentre pas la partie énergétique de la ration. « Malgré le conservateur, au silo, nous avons dû retirer de la première coupe une couche d’ensilage pourri de 20 cm. Quant à la troisième coupe, elle a été jetée dans la fumière. » L’ensilage, composé de brins de 2 cm, est stocké dans un silo bétonné large de 5 m et haut de 1,20 m, ce qui permet d’avancer chaque jour tout le front d’attaque. « Peut-être le processus de fermentation est-il plus lent qu’un ensilage d’herbe, intervient Olivier Véron, le nutritionniste de la Coopérative de Creully. Nous avançons à tâtons. »

De juillet à décembre, la ration fourragère des 160 vaches en lactation contient 2 kg bruts/vache/jour de silphie perfoliée ensilée, soit entre 400 g et 600 g de MS selon la teneur en matière sèche. En décembre, elle accompagnait 13,5 kg de MS de maïs-ensilage, 1,7 kg de MS d’enrubannage et 1 kg de MS d’ensilage d’herbe. L’objectif est de monter à 2 kg de MS. (© C.Hue)
Les vaches apprécient l’aspect piquant et odorant de la silphie. (© C.Hue)

Les deux associés ne s’avouent pas vaincus. L’an prochain, pour évaporer le maximum d’eau, en condition météo idéale, ils faucheront à plat et attendront deux jours, sans faner, avant d’andainer. Si le temps est nuageux, ils faneront deux fois puis andaineront. « Le séchage de la silphie est trompeur, souligne Dimitri. Le dessus noir donne l’illusion qu’il est avancé mais le dessous reste très humide. »

Faucher à plat l’an prochain

En cas d’échecs répétés, les éleveurs se sont réservés une porte de sortie. Ils vendront le produit à des collègues détenteurs d’un méthaniseur. L’implantation de la vivace a nécessité un investissement de 1 800 €/ha de semences en 2021. Il n’est donc pas question de la supprimer. Mais ils n’en sont pas là. « En plus de sa valeur alimentaire, nous apprécions le côté appétant, odorant et surtout piquant qu’elle donne à la ration des vaches laitières. Elle renforce la part de cellulose, ce qui ralentit le transit et favorise des bouses plus structurées. Elle remplace l’équivalent d’un demi-kilo de paille par vache. » Ils l’introduisent au fléchissement de la pousse d’herbe début juillet à raison de 2 kg bruts/vache/jour jusqu’à la fin du silo mi-décembre. « Cela ne fait que 400 ou 600 grammes de MS par vache selon le taux de matière sèche, indique Olivier Véron. À ce niveau, il est difficile d’évaluer son incidence réelle sur les performances laitières. »

La ration fourragère actuelle compte 13,5 kg de MS de maïs ensilage, 1,7 kg de MS d’enrubannage et 1 kg de MS d’ensilage d’herbe (prairies naturelles). L’objectif est de monter la silphie perfoliée à 2 kg de MS, pas plus car ils doivent respecter la part d’herbe relative au cahier des charges des AOP Beurre et Crème d’Isigny. « À cette hauteur, on pourrait réduire les apports de calcium car comme la luzerne, elle en est riche », reprend Olivier Véron.

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